La dernière ferme du village

Archives du Musée Condé, château de Chantilly et archives départementales à Cergy – les clichés de la ferme Dequidt aujourd’hui, sont reproduits avec l’autorisation aimable et amicale de Philippe Dequidt.

Le reportage paru dans la revue municipale n°40 de janvier 2000, titrait « le dernier fermier de Chaumontel en l’an 2000 ». Il se référait à Noël Dequidt, père de Philippe qui a repris l’exploitation après la disparition de ses parents.
A cette époque, la population agricole représentait encore 5% de la population active. Ce taux est tombé à 3,5% en 2005.
Le destin des exploitations agricoles de notre région est lié à l’étalement urbain qui voit la construction de nouveaux logements dans les zones rurales. Les recensements de population permettent ensuite de définir ce qui ressort de la zone urbaine et ce qui distingue la zone rurale.
Aujourd’hui, les nombreuses fermes que comptaient Chaumontel et Luzarches ont peu à peu disparu, en raison des orientations de la politique agricole commune favorisant notamment la concentration des exploitations agricoles, la diminution du nombre des agriculteurs et surtout les normes imposées aux exploitations dont le pouvoir de financement ne pouvait que les condamner à brève échéance.
Luzarches vient de voir sa dernière ferme cesser son exploitation.
Chaumontel s’honore de compter encore dans son patrimoine local, sa ferme Dequidt, mais pour combien de temps encore ?

(Musée Condé.CP-C-03) vers 1750, en 2, la ferme

La famille Dequidt, installée à Chaumontel depuis 1961, y développe une polyculture et un élevage de bovins. Noël et Cécile Dequidt, parents de Philippe, prennent leur retraite en 1984 et Philippe leur succède. C’est la même gentillesse « ancestrale » qui accueille le passant : Philippe aime montrer sa ferme, ses animaux, le dernier né de son troupeau de vaches, la respectabilité de ces vieux murs chargés d’histoire.

Car cette ferme a une histoire qui remonte au 17è siècle, comme en témoignent les ventes successives réalisées avant 1707, et au 18è siècle.
En 1623, il est fait mention de la ferme de Chaumontel, rue du Tertre, située vis à vis de l’église et du cimetière, tenant à la ferme louée à Carton, avec 86 arpents et 5 perches et demi de terre et 5 arpents et 3 perches et demi de prés, louée à Guillaume Guénot et à Jeanne Camus, sa femme.
En 1652, Anne Boyer épouse en secondes noces Nicolas Violé, Seigneur de L’Hervillers, Capitaine au Régiment des Gardes du roi, puis Seigneur de Luzarches pour moitié et par indivis, comme acquéreur des droits de la famille de Marle et autres représentants de Bernard Prudhomme, Sieur de Freulines.
En présence de Nicolas Violé, elle afferme pour 9 ans, à Rieul Pasquin, Nicolas Roger et sa femme, les deux fermes, l’une devant le carrefour de l’église, et l’autre sis au carrefour, plus 157 arpents de terre et 6 arpents ¾ de prés ; le greffe de la prévôté de Chaumontel ; les défauts et amendes jusqu’à 60 sols ; les droits de champarts, moyennant 720 livres, 8 chapons et 300 gerbes de paille de froment par an.
Les fermes étant considérées comme en mauvais état, les preneurs ne paient que 600 livres la première année.
En 1664, Madame Garnier de Montereau afferme ses deux fermes de Chaumontel, l’une à Rieul et à Nicolas Pasquin, l’autre à Barbier et à Lelièvre. Ces fermes couvrent ensemble une superficie de 90 arpents, environ.
En 1666, elle afferme pour une durée de neuf ans, à Louis Métas, marchand à Chaumontel, le revenu de la terre et seigneurie de Chaumontel, censives et rentes seigneuriales, en grains, poules, chapons, lods et ventes, saisines, amendes et le greffe, soit trois fermes seigneuriales, l’une du fief Vitel, tenu par le preneur, la grande ferme tenue par les Pasquin et la troisième par les Barbier et Lelièvre, les terres de Trianon, les osiers du château de Prélay, une fosse à poissons proche la Fontaine du Bon Puits de Chaumontel, la coupe des bois sous réserve de laisser vingt baliveaux par arpent, le moulin dont le preneur percevra les fruits et revenus, y compris les clos, fief et jardin de la Maison d’Outreville. Le tout pour la somme annuelle de 3000 livres.
En 1674, Martin Reynauld, concierge du Château du Prélay et mandataire de M. et Mme de Montereau, loue pour neuf ans, à Rémy Tardif le Jeune, les revenus de la terre et seigneurie de Chaumontel-la-Ville et du Prélay pour la somme de 3750 livres.
En 1675, Rémy Tardif sous - loue à Georges Fleury de Chaumontel la ferme de la rue du Tertre, la moitié des 153 arpents, 6 arpents de prés et le moulin pour 600 livres.
En 1703, Madame de Montereau loue ses fermes de Chaumontel.
Le 31 décembre 1707, veuve du Président à Mortier dont elle était séparée, elle vend la Seigneurie de Chaumontel, le Château et l’enclos du Prélay, tout en s’en réservant l’usufruit, les fermes, terres, prés et bois qui en dépendaient au Prince Henri III Jules de Bourbon, Prince de Condé, Premier prince du sang, Pair et Grand Maître de France, Chevalier du Saint Esprit, Duc d’Enghien et de Châteauroux, fils de Louis II dit le Grand Condé, Prince de Condé, Duc d’Enghien, d’Albret, de Montmorency, Duc de Bourbon et de Bellegarde, Prince du Sang, Grand Maître de France, Chevalier du Saint Esprit, Gouverneur de Bourgogne. 

Inventaire mentionnant la ferme (cliché jmrb_2008)

1707 : voici la transcription de l’acte de vente qui détaille les biens mis en vente :

  • le château, jardins, fossés remplis d’eau, viviers, fontaine, le parc de Chaumontel et du Praslay
  • la maison et jardin d’Outreville
  • une petite place de deux perches et demie de jardin assise devant la porte de Chaumontel
  • une maison située au devant de la porte occupée par le jardinier appelée Outreville
  • une ferme size devant l’Eglise et Cimetière de Chaumontel, une petite maison entre ladite ferme et la suivante
  • une autre ferme située au même lieu et qui communique à la précédente (), un colombier avec une pièce de terre en sainfoin située derrière lesdites deux fermes
  • une autre ferme située près le pont dudit château appartenant à M. Molé, appelée le fief Vitel, volière à pigeons et étables, grange, escurie, le tout avec un jardin derrière en prés
  • une pièce de prés appelée Lozier dans laquelle est la fosse autrefois à poissons près la fontaine plantée en arbres fruitiers fermée de hayes
  • le moulin à eau appelé le moulin de Chaumontel avec le logement du meunier, escuries, estables   () fermé de murs, une grange

Louis II meurt en 1709. Son fils, Louis III recueille la seigneurie de Chaumontel mais il décède subitement en 1710, laissant Chaumontel en héritage au Très haut, Très puissant et Très excellent Prince, Louis Henry, duc de Bourbon, Prince de Condé, Premier prince du Sang, duc de Bourbonnais, de Châteauroux, de Montmorency, d’Enghien, de Guise et de Bellegarde, Pair et Grand Maître de France, chevalier des Ordres du roi et de la Toison d’or, gouverneur général pour le roi en ses provinces de Bourgogne et de Bresse, surintendant de l’éducation du roi Louis XV, chef du conseil de Régence.
En 1718 – 1720, les baux des fermes de Chaumontel sont résiliés. Madame Vve Garnier de Montereau, Dame de Chaumontel, décédée en 1736, l’usufruit qu’elle s’était réservée durant le reste de sa vie est réuni à la nue propriété au profit du prince de Condé, duc de Bourbon.
Le 27 janvier 1740, le Prince meurt à Chantilly, d’un coup de froid à la chasse. Son fils, Louis Joseph de Bourbon, Prince de Condé, âgé de 4 ans, recueille la succession de son père et devient Seigneur de Chaumontel et propriétaire des fermes, terres, prés, bois et moulin composant la Seigneurie. Le Prince de Charolais, oncle paternel et tuteur du jeune Seigneur avait mis en réserve dans la forêt de Chantilly une telle quantité de gibier, cerfs, biches, lièvres et lapins, que les riverains ne récoltaient plus rien suite aux destructions massives des plants de vignes et d’arbres. Seule la rive opposée de l’Ysieux à l’abri des animaux, pouvaient encore être exploitée.
En 1743-1749, les fermes de Chaumontel sont affermées à Contenceau et à Charles Métas.

Graffito relevé dans les combles de la ferme indiquant l’année 1769 (cliché jmrb_2009)
 

A la Révolution, la seigneurie de Chaumontel disparaît. Les biens sont confisqués et vendus comme biens nationaux.
L’abbé Lebeuf écrit que le territoire de Chaumontel était en vigne, labourages et prairies. Déjà au 15ème siècle, un certain Guillaume Girard, marchand laboureur, s’engage à défricher une pièce de terre appartenant aux religieuses de Montmartre qui possédaient des biens à Chaumontel.
L’histoire de l’activité fermière a subi des modifications fondamentales au cours des siècles : si la vigne s’est imposée et a fait disparaître une partie de la forêt dès son apparition, par suite de défrichages successifs, elle a peu à peu laissé la place aux terres labourées jusqu’au 18ème siècle. En effet, à la suite de la mort du duc de Bourbon en 1740, son frère Charles avait eu la tutelle de son neveu, fils du précédent, amateur de chasses à courre, il fit en sorte que le territoire de Chaumontel inclus dans le domaine princier, vit ses terres cultivées retourner en partie à la forêt.
Les registres de délibérations du conseil municipal du 19ème siècle, montrent, au travers des décisions et arrêtés l’importance de l’élevage. La vaine pâture est pratiquée selon des règles que les propriétaires sont tenus de respecter. Les terres où se pratique la vaine pâture sont clairement précisées et tout manquement ou dégât occasionné par le bétail est sanctionné par un dédommagement au propriétaire de la terre ouverte à la vaine pâture. La vie des fermes à Chaumontel n’a pas laissé de traces au cours du 19ème et du 20ème siècle, si ce n’est le nom des cultivateurs – Réthoré, Picque, Thibault, Murger/Cornelis, Goret.

Expédition des navets (fermes Réthoré, à gauche, -  Dequidt, à droitet). On peut observer l’unicité du bâtiment et le mur de séparation entre les deux fermes

Aujourd’hui, la ferme Dequidt est la seule qui reste en activité. Elle s’est recentrée sur des activités de polyculture après avoir abandonné celles liées à l’élevage et à la production de produits laitiers.
L’ensemble de la ferme du 18ème siècle est actuellement partagée en deux. La ferme Dequidt, proprement dite, et l’habitation privée de la famille Réthoré.    

La ferme Dequidt aujourd’hui (cliché jmrb_2009)
 

Jean-Michel Rat & Renée Baure-Rat (†)

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